jeudi 27 février 2014

parler du chômage ...

Parler du chômage, c'est comme parler de l'école, de l'insécurité ou de la météo...
Il y a les chiffres et la bataille des chiffres, il y a le "sentiment" , "le ressenti"...

Aujourd'hui le bulletin météo ne parle pas seulement de la température réelle mais de la température "ressentie" et la seconde, dans nos échanges prend souvent le pas sur la première.
De même, en matière d'insécurité, les sondages évoquent "le sentiment d'insécurité" et le commentateur oublie souvent de le comparer avec "les chiffres vrais" sachant d'ailleurs qu'ils seront vite contestés et nous mesurons que le simple fait d'évoquer le sujet nourrit ce sentiment... en fait un ressentiment.

Fine psychologie, manipulation, incertitudes... notre perception du chômage varie selon qu'il nous touche, touche un de nos proches ou au contraire se montre à plus ou moins longue distance...
Selon notre posture, notre rôle ou place dans la société, le chômage est tour à tour vu comme une fatalité, un mal nécessaire ou même parfois insinue-t-on que le chômeur porte sa part de responsabilité dans son incapacité à trouver un emploi... Dans le même temps, le soupçon s'installe et se dirige vers ceux dont l'emploi est "protégé" et qui seraient vus comme des parasites profitant du système (emplois ou contrats aidés, fonctionnaires, voire certaines catégories de retraités...).

Nous attendons chaque mois la communication des chiffres comme des oracles censés éclairer notre point de vue, rationaliser ou confirmer un sentiment.
Il n'en est rien.
Il suffit d'écouter deux économistes, deux politiques, deux journalistes, deux citoyens pour confirmer qu'en réalité, passée l'affirmation de quelques lieux communs, le sujet reste mal appréhendé soit qu'on le présente comme "hyper-technique" et non accessible au vulgum pecus, soit au contraire qu'il donne lieu à des affirmations péremptoires ... Bref entre langue de bois et idéologie, pas facile d'approcher justement la question...

1 Calmons- nous avec les chiffres et les indices : ils peuvent être manipulés ou s'inscrire dans une logique réductrice.
Il en va ainsi de nombres d'indicateurs. Comme à l'école où la nuance entre 8,75 et 9,50 est difficile à justifier, les outils statistiques qui incarnent des tendances doivent être croisés avec l'ensemble des indicateurs. Un chiffre tout seul, c'est idiot et même comparé au chiffre de l'année dernière, il ne dit rien tant que l'ensemble des éléments du contexte n'est pas analysé.

2 Offre, demande, besoins... économie parallèle, spéculation : il parait que 40% des français possèdent un smartphone, parmi ceux-ci qui payent souvent des abonnements conséquents, combien n'ont pourtant pas satisfaits leurs besoins essentiels comme l'accès aux soins dentaires ou même à une alimentation équilibrée ?
La publicité omniprésente nous invite chaque jour à consommer et l'examen rapide des caddies au supermarché étonne sur que nous y mettons... Est-ce donc là l'indispensable pour des citoyens d'un pays en crise ?
Qui ouvre un peu les yeux s'étonne encore : là, tel artisan ou garagiste "qui préfère qu'on le paye en liquide" et ce sera moins cher, ailleurs cette économie parallèle de la drogue qui à défaut d'apaiser le sentiment d'insécurité permet d'éviter  de traiter la question des cités (en ce sens la dépénalisation secouerait le cocotier mafieux et engendrerait plus de sécurité), plus loin encore la question des tricheurs fiscaux - des millions à récupérer ce qui est fait avec grande timidité- , de ces fortunes qui spéculent... tout cela est connu...
Nous percevons que la question de l'emploi, ne saurait se dispenser d'un examen volontariste des valeurs et des choix que nous voulons nous donner.
Pourquoi aucun débat n'interroge-t-il ce que c'est aujourd'hui travailler ?
Quel impact de l'activité sur notre environnement vu au sens large ?
Pourquoi parle-t-on si peu des nouveaux métiers qui apparaissent et prépare-t-on à des métiers condamnés ou saturés ?
Autre aspect, le plus souvent on est" travailleur" ou "chômeur" (excepté les emplois aidés et les retraités qui d'ailleurs parfois compensent leur maigre retraite en travaillant)...
C'est à dire, qu'on préfère indemniser à l'extérieur, en le laissant chez lui,  un travailleur licencié avec le coup social énorme que cela engendre, plutôt que de compenser ponctuellement une baisse d'activité en laissant le travailleur au sein de l'entreprise soit travailler moins en étant compensé par une allocation soit en bénéficiant de formations rémunérées qui soient d'ailleurs des formations très ouvertes et pas seulement "utilitaristes" ou en donnant de son temps utile par exemple à des actions de solidarité...
Ce qui doit orienter nos choix, ce sont nos valeurs, parce que seules nos valeurs permettront de mettre du sens sur nos choix.
Cela suppose un réel examen de conscience et une appropriation active et résolue de la devise républicaine.

3 Choisir de changer de paradigme exige d'innover, de penser un projet et pour réussir d'y impliquer les différents partenaires.
Innover demande d'oser sortir du dogme ou de la doxa c'est à dire à la fois d'avoir une vision systémique des problèmes mais de changer de logique ou de logiciel comme disent certains.
A ce titre, tour retour au passé est illusoire et voué à l'échec.
L'extrême droite en ce sens n'est pas moins conformiste que les autres., elle est même très "pensée unique".

Imaginons par exemple, le revenu minimum pour tous qui baisserait en fonction de la prise d'autonomie financière de l'individu, une vision coopérative de la contribution de chacun au développement des infrastructures, le décloisonnement des institutions et du monde de l'entreprise, l'orientation explicite des choix budgétaires ... Cela pourrait créer à la fois plus de sécurité et une réelle dynamique...
Cette dynamique prendrait appui une école ouverte à tous tout au long de la vie.

Il faut cesser de nous enfermer dans une vision fataliste et pseudo "raisonnable" des choses qui n'est rien qu'une forme d'atermoiement où la prudence est un conformisme cédant au pouvoir de l'argent ou des habitudes.
L'économie sociale et solidaire, bien insuffisamment développée, ouvre des possibles à explorer...


4 Pour que le projet réussisse, il doit devenir vraiment une grande cause nationale partagée impliquant l'ensemble des acteurs sociaux et l'on pourrait dire la population toute entière. Du local au macro, du demandeur d'emploi au patron, du fonctionnaire au travailleur en entreprise, chacun doit pouvoir être impliqué, interroger la part du travail dans sa propre vie, envisager son projet personnel dans un contexte identifié, s'engager... Choisir plutôt que subir, penser son projet non seulement pour répondre à ses aspirations propres mais dans une forme de dialogue...

Si j'ouvre un commerce, quelles perspectives sont offertes dans le contexte que j'envisage, que pourrais-je apporter et recevoir en retour, quelle dynamique serait engendrée par l'activité ? Ce n'est pas simplement d'une "étude de marché" dont il s'agirait mais d'une réflexion sur une forme d'engagement partagé possible...Pensons à ce titre au modèle des AMAP ... mais pourquoi pas à  celui d'opticiens mutualistes ou aux maisons d'assistants maternels...

Par ailleurs dans les écoles, les établissements de formation, mais aussi à la télévision, la cause de l'emploi devrait être traitée non pas sous l'angle inquiétant d'un danger, d'un risque, d'une peur mais dans la perspective d'un projet ouvert...

Un jeune travailleur aujourd'hui devra changer de métier, évoluer vers des pratiques qui n'existent peut-être pas encore, à l'effort physique d'hier succédera de plus en plus la capacité à traiter de l'information, concevoir, adapter, réguler, communiquer, garantir la qualité, préserver l'environnement ... Cela suppose une mobilité intellectuelle et physique, une part plus grande laissée à l'autonomie et à l'initiative y compris au sein de l'entreprise ou nombre de cadres passent encore trop de temps à brider les potentialités et stimulent ou encouragent bien mal l'intelligence en action...

Nous sommes encore trop consommateurs de notre propre système, nous avons peur d'agir, nous pensons que la question relève de spécialistes alors que dans le même temps nous voyons bien que les économistes distingués et les politiques formés le plus souvent dans le même moule à penser n'ont rien proposé de neuf qui permette de changer la donne. Il ne s'agit pas de les attaquer, ils font souvent ce qu'ils ont à faire avec sérieux, conscience, plus ou moins d'humanisme, mais ils n'osent pas sortir du cadre... Le "happy few" pense peut-être mieux savoir que nous, a peur encore de nos réactions mais tient encore une petite forme de pouvoir dans la posture du "spécialiste" ou du "technicien".

Nous doutons parfois de la démocratie, alors que lorsque la démocratie ne marche pas c'est que nous ne la prenons pas en mains.
La prendre en mains, ce ne sera sûrement pas la confier aux aigris, aux revanchards, à ceux qui conspuent et mélangent tout en allant chercher des coupables qui dans la Mondialisation qui dans telle ou telle catégorie...
L'égoïsme, le profit à courte vue ou la rancœur sont les pires conseillers.

Ce n'est pas être angélique que de dire qu'il faut changer de paradigme, ce n'est pas refuser l'effort, bien au contraire ... mais l'effort ne veut pas dire qu'il s'agirait seulement de demander à un grand groupe de se priver pour protéger les intérêts de privilégiés, lesquels s'évertueront à dire qu'il ne faut rien changer...

Il faut d'abord nous convaincre nous mêmes que le chômage est l'affaire de tous.
Bien souvent les citoyens savent se montrer solidaires. Ils s'engagent dans des grandes causes, ils donnent de leur temps, de leur argent, de leur force, de leur créativité...

Avons-nous besoin de souffrir plus encore, d'une catastrophe plus profonde pour nous convaincre que nous sommes bien au 21 ème siècle et qu'il est temps "de nous y coller" ?

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