jeudi 30 avril 2015

les espionnés volontaires

Nous protestons volontiers quand un projet de loi se propose de pouvoir mener des investigations touchant à notre vie privée...
D'aucuns nous ont assuré qu'il ne s'agissait que de contrôler des pratiques déjà existantes mais effectuées sans l’œil du juge... façon de nous inquiéter sur le passé en voulant nous rassurer (?) pour demain.
Le Président de la République a souhaité l'avis du Conseil Constitutionnel ... jetant paradoxalement le soupçon sur un texte qu'il veut défendre.
Passons...
On a lu ici et là de nombreuses alertes sur "le système Google" qui sait tout de nous, jusqu'à notre domicile.
J'écris ici sur un blog "produit" de cette compagnie...
Nos mails, nos agendas, nos informations, nos photos, stockées dans le Cloud et répliquées à notre insu de par le Monde... voilà de quoi nous alerter.
Plus discrètes en apparence sont les applications gratuites dont nous équipons nos tablettes, nos smartphones et qui non seulement nous géolocalisent mais identifient nos goûts, nos habitudes...
Les pages Web nous tracent également.
Nous n'osons imaginer ce que le régime nazi aurait su faire de toutes ces informations.
Ce que nous écrivons active des robots : les uns nous envoient de la publicité, d'autres repèrent que nous nous attardons devant tel ou tel rayon au supermarché... on nous envoie des pubs, on nous "suggère" des amis, des informations censées répondre à nos "goûts" ou à nos "aspirations"...
Nos cartes bleues disent ce que nous achetons à notre banquier, où et quand, combien de temps nous avons passé dans tel parking tandis que la carte orange peut trahir nos périples souterrains...
Bientôt, on peut supposer que certains verront débarquer le GIGN simplement parce qu'il auront maladroitement activé quelques mots clés.
Une réaction optimiste serait de dire que "trop d'info tue l'info" et que celui qui n'a "rien à se reprocher " ne risque pas grand chose...
Sauf peut-être le droit à l'intimité et à la confidentialité.
Nous savons aussi que les délinquants et les terroristes apprendront très vite à se déjouer des pièges, cryptant, se déguisant...
Mais nous voyons encore la dérive glisser : parents persuadés de leur bon droit "espionnant" les adolescents, époux reconstituant l'emploi du temps de l'être "aimé", enseignants observant l'activité de leurs élèves ou employeurs attendant réponse prompte de leur employé, en pouvoir de vérifier combien de temps la caissière passe-t-elle par article et par client ...
Les espionnés deviennent rapidement espions.
Face à cela, tenter de se protéger semble dérisoire.
A tout le moins, on peut s'attacher à ne pas "mettre tous ses œufs - ou ses fichiers-  dans le même cloud- panier", à veiller à "contrôler son image" ce qui peut conduire à une forme d'auto-censure et à céder au consensus convenu de la conformité... De temps à autre chacun peut tenter d'examiner les applications qu'il utilise. Toutes ne devraient pas légitimer la géolocalisation pour autrui...
Nous pouvons changer régulièrement nos mots de passe, nous essayer à cloisonner, ne pas tout dire à notre fournisseur, activer la navigation privée, nettoyer les cookies ...
Mais notre apparente clairvoyance ne doit pas nous leurrer sur le risque d'être déjà réduit par cette dictature molle mais omniprésente qui a fait de nous des consommateurs avant des citoyens.

Sens des valeurs et de l'éthique, rôle de l'éducation et de l'école, nous voyons bien qu'il y a là une voie à creuser d'urgence qui passera également par le développement de réseaux indépendants, libres, alternatifs et coopératifs.
Ailleurs, la lutte contre les grands monopoles numériques, le contrôle démocratique de leur fonctionnement devraient aussi être des objectifs à développer.
Les plus libéraux penseront que le système peut s'auto-réguler : Facebook a vu la nécessité de mieux préserver la confidentialité mais il joue au poker menteur, Twitter dont la rentabilité semble s'essouffler mesure qu'il est est trop perméable au spam des robots ou aux trolls... c'est en partie vrai, en partie seulement.

Se pose aussi en filigrane la question des concessions que nous sommes prêts à faire... que voulons-nous abandonner de notre propre liberté (et surtout celle de penser) pour quel retour et quel progrès réel dans notre vie quotidienne et sociale, pour mieux vivre et surtout mieux vivre ensemble ?

La dialectique entre éthique et technologie n'a pas fini de nous questionner...


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