mercredi 29 octobre 2014

De l'empathie

A l'occasion du décès d'un jeune manifestant, on a reproché aux membres du gouvernement d'avoir fait preuve de peu de réactivité en manifestant tardivement leur empathie.
Ces mêmes dirigeants ont d'ailleurs exprimé "leur compassion" ce qui pour d'aucun est à la sympathie ce qu'est la charité à la solidarité.

Une petite promenade sur le net nous a montré que de nombreuses pages ont été écrites sur le sujet.
Nous ne saurions trop vous recommander la lecture de l'excellent article de Serge Tisseron (voir le pearltree plus bas) qui évoque en particulier un certain nombre de risques ou de mystifications possibles dans lesquelles il ne faudrait pas sombrer malgré l'intérêt évident de développer très tôt nos capacités d'empathie.




Trois entrées semblent intéressantes à explorer :
la question personnelle et sociale
la question éducative
la question politique

Ces trois thèmes pour l'homme, "animal social"par excellence de surcroît doté du langage, sont inter-reliés.
Pour reconnaître à l'autre une place, une histoire propre et des émotions, il faut pouvoir apprendre à le reconnaître, c'est à dire être libre soi même sur son propre territoire intime, libre à la fois de créer des liens et de s'en émanciper.
Il faut en quelque sorte pouvoir faire preuve d'auto-empathie et se place en situation de confort psychologique.
Cela suppose à la fois d'avoir pu bénéficier de la confiance de ses parents et d'avoir senti sur soi des attentes positives.
Dans notre Monde qui vit en accéléré et où chacun est invité régulièrement "à faire ses preuves", l'esprit de compétition est venu insidieusement faire de l'autre un ennemi : trouver et garder un emploi, être le gagnant du grand concours, soutenir une équipe...
Le sport et la télévision renforcent sans cesse la compétition et pas en réalité l'effort sur soi, mais la compétition spectacle avec la mise en scène de l'élimination.
Dans les réseaux sociaux, il s'agit d'arriver en tête en ayant le plus d'amis ou de "followers".
Certains alors utilisent le levier de l'empathie à des fins personnelles et l'on peut craindre à juste titre des velléités de manipulation d'autrui.
Comme le souligne par ailleurs Serge Tisseron, la société de l'information convoque sans cesse nos émotions pour des successions de drames devant lesquels nous nous sentons impuissants et ne pouvons que nous réfugier ou dans la tristesse, la dénonciation de scandales ou la désignation d'ennemis.
Ce que nous voyons à la télévision, nous "ne voulons pas de ça chez nous".
Bien que nous nous en délections... jusqu'à le rechercher dans les séries télévisées.
Dans les campagnes revient "la peur du loup".
Ailleurs, nous voyons des adolescents jouer sur des consoles à des jeux où il ne s'agit surtout pas d'épouser une noble cause mais en général d'échapper à des poursuivants, de se battre, de devenir le méchant, de tuer pour survivre et échapper à la police etc.
Ces mêmes adolescents sont capables de passer des nuits entières sur Internet et de se placer en situation d'inconfort.
Face au sentiment d'insécurité nous répondons par la géolocalisation et la vidéosurveillance.
Nous cherchons sans cesse l'autre à la faute. La judiciarisation des relations, la plainte que ce soit devant le tribunal, l'administration ou le commerce deviennent des modes de communication fréquents et dont le coût économique et social est énorme.
Développant un paradoxe dont nous sommes friands, nous pouvons dans le même temps décrire notre société comme individualiste et de consommation et cliver davantage nos relations (cf. les rapports entre les parents d'élèves et l'école).

Bien que nous disposions de la bonne connaissance sur l'intérêt de développer l'empathie, alors que au cœur même des entreprises, les démarches prônant son développement se multiplient, la réalité est plus complexe.
Responsabiliser les équipes de travail, c'est souvent fixer des objectifs en se lavant les mains quant aux moyens laissés pour y parvenir, c'est attendre leur réalisation traduite souvent en indicateurs froids à des dates toujours plus urgentes.

En prenant garde à ce que le souci de transparence ne vienne pas nuire au respect de l'intimité de chacun, une éthique de l'empathie doit être développée... pas si simple.

Sur la question éducative, l'estime de soi, le respect, la reconnaissance de la personne élève sont capitales.
Une démarche soutenue par le mouvement "Roots of Empathy" (voir lien plus haut) vise plutôt qu'à le féliciter, à remercier l'élève de son apport.
Nous percevons ici l'intérêt d'une évaluation voulant faire progresser tous les élèves et non à éliminer les plus faibles et les risques engendrés par des appréciations portant sur la personne.
De la faute au droit à l'erreur, nous sommes passés à la possibilité, au droit pour l'élève "d'essayer à l'école" sans danger ni psychologique, ni moral, ni physique et surtout de rencontrer un maître accompagnateur  en capacité de l'aider à reconnaître dans ses essais ce qu'il a réussi, de lui montrer l'objectif à atteindre et de définir avec lui des étapes progressives visant notamment à dévoiler tous les secrets liés aux apprentissages qu'ils tiennent à la compréhension que l'on peut avoir d'une notion en fonction de son âge, ou des difficultés inhérentes à la notion elle même.
Cela suppose pour le maître de savoir reconnaître et accompagner les efforts, d'avoir des attentes positives (l'éducabilité) et de savoir "refaire avec l'élève le chemin des apprentissages".
Empathie avec celui qui apprend, empathie nous dirions presque avec les objets d'apprentissage pour mieux les comprendre ...
Nous pensons que l'élève confiant et compris apprend mieux et plus durablement.
Et bien entendu cela suppose que par des pratiques simples et vivantes on puisse montrer l'intérêt de développer la confiance dans la classe entre pairs en particulier par l'entraide et la coopération.
Apprendre à se mettre à la place d'autrui, apprendre à faire preuve de solidarité et voir qu'en retour on peut être aidé sans sombrer dans l'assistanat.
Ceux dont le métier est d'enseigner ou d'écouter, ceux qui soignent... savent qu'il leur sera nécessaire un moment donné de pouvoir mettre à distance, être écoutés à leur tour...

Enfin du point de vue politique, la distance entre les politiques et les citoyens est le reproche qui revient le plus. "Ils ne peuvent nous comprendre" et notamment parce qu'ils sont des privilégiés ou appartiennent au même monde étroit des grandes écoles...
Le sentiment que le pouvoir politique cède à celui qui crie le plus fort ou manifeste est souvent exprimé...
La confiance est très vite retirée et le sondage devient un instrument de défiance et presque de chantage...
On observe qu'un certain nombre d'hommes politiques se crispent alors sur des positions où il s'agit de se démarquer d'autrui plutôt que de rechercher le consensus vu comme une forme de renoncement.
Il existe pourtant un certain nombre de mouvements qui veulent promouvoir l'idée d'une démocratie participative où il s'agirait non pas de répondre à des questions fermées par référendum mais de rechercher à travailler collectivement à la recherche concrète de solutions ...
La mise en place d'une démocratie participative suppose que l'on s'en donne vraiment les moyens à la fois pour éviter un traitement fragmenté des problèmes et surtout que ne se développent des groupes de pressions disséminés... lesquels ne serviraient pas l'intérêt général.
Il faudrait à la fois partager le pouvoir, apprendre à mieux se connaître dans sa réalité...
Cela supposerait une démocratie de projet, une démocratie de contrat engageant tous les acteurs...

De ses multiples dimensions, les champs d'exercice de l'empathie vue comme une démarche et surtout des apports qu'elle permet sont énormes.
Comprendre, mobiliser, accompagner, mettre à distance, résoudre ensemble des problèmes en ne niant jamais leur dimension affective ...

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