dimanche 24 août 2014

le langage de vérité

Antienne traditionnelle de nombre de premiers ministres (on se souvient de Raymond Barre puis aujourd'hui de Manuel Valls... mais certainement divers premiers ministres ont-ils repris cette formule de Bérégovoy à Fillon...  ), il s'agirait "à présent" de "parler un langage de vérité aux français".

Outre le fait qu'annoncer cela c'est prendre le risque de scier la branche sur laquelle on est assis et discréditer davantage le langage des politiques en laissant à penser qu'avant on ne la disait pas cette fameuse vérité, ce concept de "langage de vérité" pose plusieurs problèmes : 
- la vérité "ne serait pas bonne à dire" ("le premier qui dit la vérité sera exécuté"disait la chanson). 
Il est vrai que celui qui osa dire que la terre n'était peut-être pas plate le paya cher...
Quoi ? La vérité serait donc toujours mauvaise , déplaisante, supposerait des sacrifices
Pourtant, si l'on est un rien rationnel, la vérité est bonne : si on n'avait pas compris la nécessité de chasser les microbes invisibles par une bonne hygiène, l'espérance de vie n'aurait pas progressé...
Oui, mais me direz-vous toute "bonne découverte" à son revers. Nous avons su protéger nos plantes et obtenir des récoltes abondantes grâce aux pesticides... mais nous avons compris un peu tard leur danger pour l'environnement. 
Mille exemples nous montreront que des progrès, des avancées ont des conséquences parfois graves. On a d'ailleurs ainsi inventé "le principe de précaution" haute démagogie réductrice. 

C'est donc que la vision binaire du Monde n'est pas la bonne. 
Dès lors qu'on vous propose "une solution efficace et simple" , méfiez-vous, c'est le risque d'un projet totalitaire. 
La science justement nous a montré qu'une vérité est provisoire
Prétendre parler un langage de vérité lundi, c'est déjà mentir mardi. 

Cela ne veut pas dire que tout ne serait qu'incertitude et qu'il ne serait plus possible d'être sûr de ce qui est mais cela veut dire que l'on ne peut aborder un problème ou une situation sans l'embrasser dans sa complexité, une complexité en mouvement... 
Dire la vérité en la présentant de façon descendante comme une doxa, c'est s'opposer à la contradiction rapide d'un qui "saura mieux"et se condamner à foncer droit dans le mur. 

Le Doute est au cœur même des religions. La première violence de l'intégrisme, c'est qu'il veut interdire à l'homme de douter, le droit de questionner. ("Les questions sont pour l'homme, les ciseaux pour les roses" disait Marc Alyn). 
Dire "je sais" pour un ministre et se prétendre "courageux de le dire", ce n'est en réalité bien souvent que préparer au renoncement

La logique terrible du gouvernement actuel, c'est de laisser penser implicitement que la vérité serait "à droite" (et la droite de piailler "on avait bien raison !" elle qui n'a fait que la même chose, c'est à dire augmenter les déficits et favoriser les catégories aisées) et que c'est lorsqu'on aura répondu aux exigences du système économique actuel, que l'on se sera plié à ses règles, que l'on pourra, peut-être, avec prudence, envisager des avancées sociales...

Seule une très grande crise comme la sortie de la guerre ou la suite de Mai 68, ont permis soudainement de "secouer le cocotier" et d'oser inventer la sécurité sociale ou l'augmentation du salaire minimum alors que nombre de doctes économistes disaient que ce serait folie... et pourtant cela fut fait et l'économie "capitaliste" en tira en réalité bénéfice...
On se dit que la guerre de 14 fut aussi une façon (sinistre) "par une bonne guerre" de faire redémarrer un système bloqué et incapable de passer "au vingtième siècle".
Libération et avancée sur bien des points, Mai 68 renforça toutefois un système économique libéral qui reste aujourd'hui fort en apparence, fort sur le court terme du profit immédiat au risque d'allumer ici et là des conflits économiques et militaires divers... qui peut-être dépasseront ce système lui-même le jour où il ne saura plus les réguler...
Prétendre "dire la vérité", c'est renoncer à changer le Monde et tenter de sauver les meubles...
Mais les meubles de qui ? 
Un grand nombre de vérités sont connues qui depuis longtemps auraient dû nous inviter à changer de logiciel et de paradigme au lieu de continuer à foncer droit dans le Mur avec notre TGV déglingué. 
Toutefois,  méfions nous de celles et ceux qui faisant amalgames et raccourcis ont tôt fait de désigner des coupables et proposent des solutions miracles. Nous n'avons pas besoin de totalitarisme ni de repli ni de revenir à des modèles qui n'ont en réalité pas marché et surtout ne répondent en rien aux évolutions du Monde... 

Autre problème, c'est qu'une vérité non partagée, à laquelle on ne répond que par un bricolage incompréhensible de mesures techniques ne fait que nourrir un mécontentement multiforme. 
Une démocratie vivante et qui grandit et qui se dit informée, doit permettre aux citoyens de s'exprimer vraiment au delà du bulletin de vote. Les citoyens doivent pouvoir être responsabilisés et associés vraiment aux changements. Des "états généraux" suivis par des conférences de consensus, mais aussi le droit à l'expérimentation constitueraient quelques uns des éléments d'une démarche participative face à laquelle les professionnels de la politique restent toujours timorés. 
Mais il faut aller travailler avec tous les citoyens. Y compris ceux qui ont tourné le dos à la politique ! Y compris les jeunes ! 
Que sont ces politiques qui ont peur du peuple ou qui l'invoquent comme s'il n'avait qu'une tête pensant comme eux ? 

Dès lors qu'on observe comment localement certains acteurs s'essaient à la recherche de solutions innovantes prenant souvent appui sur la coopération et la solidarité -donc des valeurs humanistes et de progrès social- , on se dit que le rôle de l'Etat devrait être de soutenir ces initiatives et de permettre d'ailleurs d'anticiper avant la catastrophe. 
Est-il mieux de subventionner le travail quitte à le partager plus ponctuellement et favoriser la formation au sein de l'entreprise ou de subventionner le chômeur qui "ne fait plus rien" ? 
Si les services de l'Etat semblent défaillant, est-il mieux de "privatiser" et les condamner en créant de la compétition avec des logiques de rentabilité à court terme ou de choisir de développer la coopération et l'efficacité en donnant à ce pays une ossature et une structure forte au service de tous .. donc du tissu économique ? 

La langage de vérité en politique, posé comme il l'est aujourd'hui, verrouille la pensée et l'imagination. Il ne s'agit pas de mentir mais de proposer une démarche, d'oser un projet structurant associant les énergies et les citoyens. 

Le langage de sinistrose, l'appel aux sacrifices... tout cela ne mène à rien.
La vérité est ailleurs, elle est mouvement, la vérité doit chercher à comprendre et partager...
Faute de quoi elle devient mensonge. 

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