samedi 7 décembre 2013

vous avez dit culture numérique ?

Peut on parler de culture numérique ?
Pour beaucoup la question est déjà tranchée.

Ici débattent les sociologues qui observent la culture du point de vue des relations entre les hommes, ailleurs les philosophes qui pensent à la transmission d'une connaissance stabilisée et incarnée dans la culture du livre, plus loin les pédagogues qui voient s'échapper leurs élèves, sans compter la sphère des industriels avides de marchés...

Tant de groupes qui posent en creux la question de l'identité.
Car le numérique est à la fois ouvert sur le Monde, mouvant, techniquement évolutif et envahissant, individuel et relié.

Des savoirs qui circulent ou se construisent, tout va au fleuve numérique, du meilleur comme du pire, du faux ou du vrai, du rationnel comme de la pire rumeur... Soit. Mais accordons-nous sur le fait qu'il ne suffit pas qu'une pensée soit dans un livre pour qu'elle soit vraie ou juste.

Le numérique nous conduit sans cesse à manipuler du « virtuel » et modifie toutes nos représentations : quand peut-on parler d’œuvre dès lors que le détournement, l'appropriation, la transformation ne nous permettent plus toujours d'identifier la source, l'auteur, l'intention ?

Mais à bien y regarder, qui fut l'auteur de tel tableau célèbre, le peintre ou ses disciples ?

Il semble d'abord important de ne plus confondre l'informatique  et le numérique.
Par essence, le numérique porte cette forme d'ambiguïté : il s'agit d'entrer dans « l'ère du numérique » nous dit-on, ère dont nous ne connaissons évidemment rien de ses développements.
Nous voici dans la posture de l'homme préhistorique auquel on dirait, c'est bon, là, tu es dans l'Histoire, vas-y, écris ! 
Mais l'homme préhistorique voit bien qu'écrire va conduire à mille ennuis, rendre des comptes, laisser des traces compromettantes de ses affaires ou de ses sentiments.
C'est un peu comme si nous étions invités à passer dans la pièce d'une maison dont nous ne connaissons pas la distribution des chambres et ce d'autant plus que chaque nouvelle salle ouvre sur d'autres portes ouvrant vers d'autres pièces en construction apparemment perpétuelle... ouvrir une porte contribuant à créer une pièce etc.

Si nous pensons « aux nombres » qui viennent binairement tout codifier, nous mesurons qu'avec le numérique le commun des mortels ne manipule pas du code mais des objets qu'il observe ou transforme « en surface », c'est à dire qu'il y a dans toute culture numérique ce que nous appréhendons relativement et ce qui circule « en dessous » .
Nous savons que le numérique s'enrichit de nos actions mais "s'informe" également de nos actions.
Et derrière le numérique, il y a parfois "la main de l'homme" ou peut-être une action automatisée aux conséquences imprévisibles et par nature inquiétantes ...
En cela, l'un des effets pervers du numérique est qu'il nourrit tout à la fois la naïveté la plus grande ("je suis libre d'agir sur Internet à ma guise") et la plus grande paranoïa (" on m'espionne, on me manipule").

Comme on le suppose en leur temps, les imprimeurs, même s'ils mesuraient l'impact de leur invention étaient bien incapables de mesurer qu'ils entraient dans « l'ère du livre », il est prématuré à bien des égards de dire jusqu'où les changements affecteront l'humanité.
Nous ne pouvons que constater que nous entrons dans de vrais et profonds changements.

Culture numérique ?
On peut faire le postulat que le numérique modifie notre façon de penser, de nous situer, de nous représenter dans le monde.
Il peut à la fois renforcer certaines visions "communautaristes " je retrouve " mes pairs " et nous nous complaisons dans nos petits cercles fermés à alimenter une pensée tournant sur elle-même ; mais je peux aussi aisément aller à la rencontre de l'autre, y compris à l'autre bout du Monde et découvrir une altérité insoupçonnée qui peut non seulement m'enrichir mais réactiver l'idée de valeurs universelles.
Un crime à l'autre bout du Monde peut faire le tour de la planète en peu de temps.
Un poème parfois aussi.

Autre point, s'il faut être préparé et accompagné, s'il faut un socle de connaissances et d'éléments pour ne pas s'exposer inutilement, trier le bon grain de l'ivraie, je suis libre de produire, d'écrire, de laisser des traces, des essais sur l'Internet.
Le numérique offre un espace d'expression qui peut rompre l'enclavement.

De même, chaque production, chaque essai, chaque trace vient s'ajouter à l'existant.
Nous renverrons à Joël de Rosnay et à l'homme symbiotique comme nous pensons à la pensée collaborative et coopérative.

Internet m'a permis de dialoguer avec des experts qui acceptaient de discuter avec moi. Il m'a permis aussi d'expliquer ou de partager certaines de mes représentations dans une sorte d'Université ouverte et généreuse... qui peut bien sûr se confronter aux noirs trolls, aux manipulateurs... mais pour peu que je dispose d'un rien de recul, quel enrichissement !

Nous pourrions parler de ces objets qui intègrent et mêlent image, son, texte … il y a aussi du beau à voir où la technologie reste instrument « au service de ».
Peut être faut-il penser à la place de la main, du doigt, dans un monde tactile, d'écrans soumis au geste, de projections dans l'espace... Infinité de possibles offerts à l'imagination et à la créativité.

Je n'ai jeté aucun livre de la bibliothèque et je continue d'en acheter.
Mais je réfléchis, j'explore, je découvre, je rencontre, j'invente, j'imagine souvent grâce au numérique.
Et c'est ludique.

Certes, le lecteur notera que j'ai mis beaucoup de « je » dans cette contribution. Je m'affirme, j'ose, j'essaie.
Certes, si je sais que tout geste numérique laissera des traces dont nombres m'échapperont, je sais aussi que dans les limbes du net ces mots disparaîtront, se fondront dans l'image juste pour ajouter un pixel de plus.
Mais peut-être ce pixel accolé à d'autres, a-t-il déjà changé le Monde ?



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