samedi 10 août 2013

C'est qui le patron ?

La télévision donne à voir la publicité en trois volets d'un loueur de voiture lequel vous invite à "boost yourself" autrement dit à oser "vous dépasser vous - même".

Deux spots semblent davantage diffusés que le troisième : "c'est qui le patron ?", "je suis une super nana" passent régulièrement.
J'avoue n'avoir jamais vu que sur Internet le dernier où l'on découvre "je suis une maman qui déchire", la mère de famille en question allant jusqu'à déchirer ses vêtements ...

Une sorte de coach, "Mister Booster" est le personnage récurrent de ces spots.
Dans une combinaison orange, dans un style improbable et en réalité peu flatteur, paré d'une chaîne en or qui vient confirmer que l'on est bien dans un style décalé et le second degré, c'est lui qui va par confrontation directe avec trois personnages du quotidien les inviter à "oser dépasser leur condition" en renforçant leur estime de soi plutôt par le cri et l'autosuggestion...

Certains s'amuseront de voir que le spot "c'est qui le patron" trouve peut-être origine ou lien dans une émission de télévision animée par le désespérant Michael Youn (désespérant car en écho d'ailleurs à cette campagne publicitaire, la posture de cet humoriste vise à développer l'auto-dérision jusque dans la médiocrité du quotidien dans un jeu étonnant d'adhésion/rejet donnant une vision très close du destin individuel et des déterminismes).

Mais quel est le message ? 
En réalité, par une politique de prix attractive, le loueur invite le consommateur à "oser" louer un véhicule qu'il ne pourrait s'acheter ni louer habituellement compte tenu de ses revenus. 
Autrement dit, le loueur propose au pauvre (ou au modeste) de jouer au riche, de contribuer à faire illusion... le temps d'une location. 

A défaut d'ascenseur social il s'agira de paraitre un temps. 

Si l'on s'attarde sur le spot "c'est qui le patron ?" on sera frappé par plusieurs éléments :
- le côté terne et triste du postulant qui fait penser à une sorte de représentant de commerce. Habillé correctement sa tenue reste convenue. On peut quand même oser dire qu'il n'est guère présenté à son avantage...
- "boosté" par le "coach orange" il ose "crier" dans la voiture qu'il prend en charge seul dans un parking souterrain parfaitement impersonnel et froid...
- il est ramené à la réalité par la sonnerie de son portable, choisie elle-même parmi des sonneries surannées ...
Et tout le suspense réside dans la façon dont l'homme va répondre au téléphone, c'est à dire, rentrer ou pas dans le rang, son visage semblant contraint à revenir au calme après le cri.
Autrement dit, on est dans le "paraitre" et l'on reste dans le cadre même si juste un temps, on a "craqué" en s'autorisant à crier pour se "regonfler"...
"La super nana" qui a osé crier à son tour regarde bien autour d'elle à la fin du spot "si elle n'a pas dérangé"... 
"La maman qui déchire" est renvoyée à la réalité du regard de son enfant.
La poussette pouvant apparaître ici comme un beau symbole d'aliénation que l'on rejette un temps... mais que l'on va bien finir par reprendre et ranger.  

Au-delà du discours commercial, cette publicité renvoie à une vision de l'organisation de la Société, des classes sociales et de la place individuelle où l'on semble devoir composer avec la réalité (l'arrière plan de la crise économique) et ne pouvoir grappiller quelques espoirs de progrès que par la sainte grâce de gentils loueurs...

Loin de proposer l'émancipation, le loueur propose un substitut. C'est une vision terrible et aliénante où les marges d'expression de l'individualité restent très enfermées. 

Le message subliminal serait-il : mais au fond, si vous voulez changer vraiment les choses, il faudra faire autrement ? 

Rien n'est moins sûr tant le publicitaire faisant le pari de l'auto-dérision et de l'auto-dénigrement tout en renvoyant le spectateur à une image terriblement sinistre de lui même, lui laisse la possibilité un instant de croire que ce sont les autres qui sont comme ça... et pas lui... pas aussi "normal", pas aussi "mal habillé", pas aussi quelconque...

Enfin, on notera que le publicitaire invite "à se dépasser soi même" en "se boostant" - autrement dit en ne comptant que sur soi (et les bons loueurs) comme s'il n'était plus envisageable de s'inscrire dans un projet collectif et solidaire.
Conformisme oppressant, renoncement, idéologie de la dérision et du dénigrement... jusqu'où les spectateurs supporteront-ils cette vision close et sans projet ? 
Quand repasseront-ils du consommateur au citoyen ? 

D'aucuns feront d'autres interprétations de ces messages, la force du publicitaire résidant dans sa capacité à cultiver ambivalence et paradoxes...
Enfin, si la posture idéologique ne s'inscrit pas dans un projet (un complot du grand capital pour aliéner les classes moyennes), il n'en reste pas moins que ce type de message (comme d'autres) est tout imprégné de cette idéologie qui baigne aujourd'hui dans notre Société où chaque individu voudrait pouvoir oser être soi...
Reste à savoir si cela passe par la conduite d'une "belle voiture"...



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