dimanche 1 novembre 2009

Brouillages

Dans une chronique récente parue dans l'hebdomadaire Marianne (n°39), Dominique Quessada donne une chronique qu'il titre "Brouillages de la crise" où il évoque l'instabilité engendrée par la crise qui rend "poreux des bords qu'on pensait stables".

Brouillages de repères, perméabilité des domaines et instabilité de valeurs, la confusion affecte la Société toute entière, c'est presque une lapalissade...

Troubles, agitations sporadiques, si les germes de désordres plus grands sont présents, si des aspirations se manifestent, il ne s'agit que de bulles à l'exemple de l'eau en ébullition...
Les bulles sont solidaires mais chacune explose seule...

Internet joue parfois le rôle d'accélérateur ou de révélateur, mais les effets de buzz ne favorisent guère la prise de recul.
La Société de l'information a, à sa façon, "virtualisé" la crise, qui bien que réelle et vécue par chacun à sa mesure est perçue comme extérieure, à la fois comme inéluctable et insaisissable.
Magique au sens irrationnel : pour savoir si nous sortons de la crise nous préférons lire des indices plutôt que de mesurer une hypothétique sortie de crise à l'aune de notre réalité concrète...

La grippe A H1-N1 est à ce titre emblématique de la menace dont on tente de se protéger (principe de précaution), qui inquiète mais que l'on minimise, où dans le même temps on dépense beaucoup avec une belle réactivité pour acheter des vaccins que la population annonce refuser au nom même du principe de précaution conjugué à la "minimisation" du phénomène...
Entre deux maux lequel choisir ?

Le scandale rythme la société et somme chacun de prendre position dans l'urgence.

Il peut être salvateur quand il permet d'éviter une dérive, mais il porte en lui les germes du conservatisme. Il empêche de penser tout projet, il s'oppose à "l'éducabilité" et génère une frénésie de textes de Loi rarement accompagnés par de vrais moyens.

C'est l'ère du soupçon qui rend difficile la formulation de tout projet.

Le cynisme, dérive de la lucidité, tue toute naïveté, dérive de la confiance en l'autre et en l'avenir.
Est-ce qu'aujourd'hui Cioran et sa pensée ont gagné ?
Car s'il avait raison sur bien des plans, Cioran ne nous condamnait-il pas d'avance ?

Nicolas Hulot, vu comme un sympathique animateur de télévision à l'enthousiasme communicatif ne vient-il pas de signer un film qui annonce la fin du Monde ? Albert Jacquard avec "Le compte à rebours a-t-il commencé ?" (Stock) annonce "non le pire n'est pas certain mais nous devons nous hâter" avec un pessimisme noir qui transpire à chaque ligne.
Nous avons compris le message, mais voulons-nous l'entendre et pouvons-nous l'entendre si un projet crédible n'émerge pas ?

L'injonction paradoxale majeure, c'est qu'il nous faut être lucides et confiants si nous voulons résister à la tentation du suicide.

Le suicide individuel agit comme un signal d'alarme dont nous ne savons pas dire vraiment à qui il s'adresse.
Exprimé dans le cadre de l'entreprise, lieu où devrait se dessiner un projet économique, il tente de se donner un sens "social".

Et l'homme politique condescend alors à évoquer le nécessaire respect de l'homme y compris dans le cadre du travail.

Lucidité, confiance, respect.
Triangle vertueux bien difficile à construire dans une société en compétition contre elle même.

Il ne peut y avoir de vérité sans valeurs, sans éthique.
La transparence ne suffit pas à donner de la confiance. Elle impose une dictature à l'individu qui rend la vie insupportable.
Nous ne pouvons pas transformer nos vies en émission de télé-réalité, supporter la pression permanente des caméras de vidéo-surveillance ou exposer notre vie dans tous ses détails sur Facebook.
Pour exister socialement, l'homme doit pouvoir conserver son espace intime.
Le sexe, évoqué par Quessada dans sa chronique comme un "révélateur", est ainsi ultra-présent dans les images, grâce au net... ultra présent et déshumanisé, mis à distance comme si le Monde ne pouvait plus que "se regarder sans se toucher"...

La morale nécessaire ne doit pas dériver en moraline.
Le retour aux référents ne suffit pas parce qu'ils seraient à leur tour instrumentalisés.

Alors peut-être faudrait-il nous tourner vers les poètes qui peuvent être lucides et naïfs, pessimistes et jubilatoires, ordonnés mais capables de dépasser les frontières et de provoquer par leur imagination la création de nouveaux espaces...

Brouillages et désordres... avons-nous devant nos yeux le spectacle d'une Révolution qui ne dit pas son nom ou d'une implosion imminente ?

Tout cela est-il extérieur à nous même ou bien au contraire terriblement en interaction du plus intime au plus éloigné, de mon voisin de palier à l'hindou nourri de spiritualité ou au burkinabé qui ne risque pas de me lire car il n'a ni Internet,ni électricité...

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